08 mars 2025

Témoignages – Journée internationale des droits des femmes : lutter pour l’accès aux soins des femmes exilées

Chaque année, le 8 mars marque la Journée internationale des droits des femmes durant laquelle de nombreuses actions sont menées afin de dénoncer, sensibiliser, informer sur l’importance de la lutte contre toutes les discriminations, les violences et les violations des droits des femmes, où qu’elles se trouvent à travers le monde.

Les femmes exilées, les violences qu’elles subissent, les enjeux de leur protection et de leur autonomisation ainsi que leur résilience, sont trop souvent invisibilisés, alors qu’elles représentent la moitié des personnes déplacées dans le monde (et 52% des arrivant.e.s en France) et devraient faire l’objet de mesures de protection et d’accompagnement adaptées à leurs besoins. Elles sont rendues invisibles par les discours médiatiques et les décisions politiques, avec l’illustration de la loi du 26 janvier 2024 « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », qui ignore une approche genrée des politiques d’accueil et d’intégration pourtant cruciale.

A l’occasion de cette journée, ISM Interprétariat souhaite donner la parole à Célia Porro-Coquet, médiatrice parentalité et chargée de plaidoyer, à Bettina Ghnassia Petit, juriste accès aux droits et aux soins, de l’association Mille Parcours, engagée dans l’accès aux soins des femmes exilées, et à Khawla, interprète professionnelle en arabe du Moyen-Orient, du Soudan et d’Egypte, de notre association, qui intervient auprès des femmes exilées.

 

L’association Mille Parcours agit pour l’empowerment des femmes ayant vécu des violences dans un contexte de parcours migratoire. Pourriez-vous présenter votre association et ses principales activités ?

L’association est née en 2016 et porte plusieurs missions et activités. Nous agissons pour la formation des professionnel.le.s de santé et la mise à disposition d’outils pédagogiques pour l’accompagnement des femmes concernées par des situations de violences, de mutilations génitales féminines (MGF), de violences conjugales et de mariages forcés.

Nous portons deux dispositifs Parcours à l’hôpital Bichat à Paris et à l’hôpital Avicenne à Bobigny pour l’accompagnement des femmes exilées ayant vécu des violences sexuelles éloignées des droits et des soins.

Nous menons des travaux de recherche sur la médiation en santé et son caractère polymorphe, et nous développons des actions de plaidoyer pour faire évoluer les réalités des femmes accompagnées vers davantage de dignité.

 

Quelles sont les actions mises en œuvre dans le cadre du dispositif Parcours et comment se déroulent-elles ?

Nous proposons un accompagnement global aux publics évoqués, en agissant sur les axes médicaux, psychosociaux et juridiques. Nous suivons des femmes exilées ayant connu des violences sexuelles en lien avec le parcours migratoire.

Généralement, l’accompagnement dure entre 2 et 4 ans. Il y a une première phase de sécurisation de la personne, avec une priorisation autour de la mise à l’abri, de l’ouverture des droits pour une couverture maladie. Le suivi est alors très soutenu. Ensuite, le suivi est plus espacé pour que les femmes se saisissent de leurs rendez-vous en médecine de ville et stabilisent leur situation administrative.

Au-delà des consultations hospitalières classiques et pour compléter l’offre hospitalière, les femmes peuvent rejoindre des espaces collectifs. Par exemple, nous proposons des sessions de musicothérapie tous les mercredis après-midi. Nous faisons aussi des ateliers psycho-socio-esthétiques et des séjours de répit pour les mamans et leurs enfants.

 

Pouvez-vous nous parler de la place de la barrière de la langue et de l’interprétariat dans la mise en œuvre du dispositif ?

Pour les femmes que nous accompagnons, le fait de ne pas partager la même langue que les professionnel.le.s de santé peut induire des violences, physiques, verbales, dans le cadre de leurs parcours de soins, fragilisant ces parcours. Par exemple, une femme nous a raconté que son VIH avait été divulgué par une travailleuse sociale auprès d’une interprète non professionnelle membre de sa communauté.

Nous interrogeons la responsabilité de cette barrière linguistique. Elle incombe souvent aux patientes mais c’est une responsabilité des accompagnant.e.s et des soignant.e.s de rendre l’échange possible. Malheureusement, le recours à l’interprétariat professionnel est très dépendant des professionnel.le.s, il reste très fluctuant et reste très lacunaire. Par exemple, dans le champ de la périnatalité, du social de l’éducation, les professionnel.le.s soit ne connaissent pas, soit n’ont pas accès à l’interprétariat professionnel.

Au sein du dispositif Parcours, nous utilisons systématiquement l’interprétariat par téléphone d’ISM Interprétariat. Les professionnel.le.s du dispositif en ont besoin pour accompagner au mieux et de la façon la plus adaptée possible. Quand nous utilisons l’interprétariat pour la première fois avec des patientes, elles sont super contentes d’avoir une personne qui parle leur langue maternelle et de pouvoir être comprises.

Une patiente nous a témoigné qu’elle avait vécu des faits de violence médicale et elle nous a partagé les conditions, selon elle, pour être bien prise en charge : une présence obligatoire de l’interprète professionnel.le, le recueil et le respect du consentement, le respect des limites de chacune et chacun (soignant.e et patiente), et enfin l’écoute et la bienveillance.

 

Pour Khawla, interprète professionnelle, son intervention apporte aux femmes exilées non francophones et aux professionnel.le.s qui les accompagnent :

Un cadre de confiance, en étant à l’écoute et en soutenant les femmes exilées, sans jugement et dans le respect de la confidentialité des échanges. L’interprétariat par téléphone facilite les choses ; comme les femmes ne me voient pas, elles se disent que je ne les connais pas et que je ne les jugerai pas. Elles se lâchent et disent les choses. La confiance n’est pas automatique tout de suite mais elle se gagne petit à petit.

La traduction mot-à-mot ne veut rien dire, l’interprète soutient le message, la parole. Nous pouvons aussi être sollicité.e.s pour aider la compréhension de représentations. Pour les femmes exilées, il arrive que la violence soit considérée comme « normale » car elles l’ont vécue toute leur vie, parfois dans des situations où elles étaient démunies, sans droits reconnus ou sans accès à leurs droits.

 

Quels sont les constats et analyses de Mille Parcours sur les violences vécues spécifiquement par les femmes dans un contexte de parcours migratoire ?

Pour les femmes qui ont vécu des violences liées au genre (MGF, agressions sexuelles, viols, mariages forcés), ces violences ont des répercussions sur leur vie quotidienne, sur le plan psychique, médical, dans la relation aux autres, dans les rapports avec la communauté. Chaque parcours migratoire est jonché de violences, qu’importe le parcours, le genre, l’âge et la nationalité.

Il est important pour nous de rappeler que les femmes accompagnées ont un point commun : celui d’avoir vécu des choses très difficiles dans leur pays d’origine, qui ont nécessité l’exil. Ensuite, il y a un continuum de violences.

Ce qui nous accapare le plus en tant qu’accompagnantes finalement, ce sont les situations de vie ici, les urgences qui viennent faire filtre avant le soin. Il est essentiel de trouver des solutions d’hébergement pour les femmes hébergées contre service ou à la rue, c’est prioritaire par rapport à la thérapie. Les violences n’épargnent personne : elles touchent les femmes exilées, racisées, mamans, qui se retrouvent reléguées dans des espaces isolés.

 

Du côté de l’interprète, Khawla témoigne de son ressenti face aux violences vécues sur le parcours migratoire évoquées dans les consultations :

Beaucoup de femmes exilées racontent leur long chemin d’exil et les violences sexuelles, les viols qu’elles ont vécus. Pour les femmes passées par la Lybie, les viols sont systématiques. Parfois, ça m’arrive de pleurer avec certaines femmes.

La souffrance psychologique causée par ces violences est très importante. Les femmes ont peur que tout le monde leur veuille du mal. Le suivi psychologique est souvent très long, il dure des années. Il ne faut pas relâcher l’accompagnement, même s’il peut être difficile pour les femmes, qui sont fatiguées et veulent arrêter de se souvenir. La notion de psychologue n’est pas toujours développée selon les pays et les cultures ; on connaît davantage le psychiatre mais pour les fous, pour les malades. Alors, il faut expliquer le rôle du psychologue. Dans certaines cultures, le mot « cauchemar » ne trouve pas d’équivalent direct, donc je dois dire plutôt « mauvais rêve ».

 

Quels sont leurs besoins en lien avec ces violences vécues ?

Il y a plusieurs phases de l’accompagnement, en fonction des priorités du moment. L’hébergement est toujours une priorité, avec les besoins de première nécessité. Même s’il peut y avoir un report du soin somatique et psychique, l’accompagnement sur les besoins vitaux est une façon de prendre soin, ce qui peut faire baisser le niveau d’angoisse. Après, l’accompagnement concerne d’autres besoins et questions, comme la protection contre les violences vécues au pays à travers l’asile.

Qu’importe l’endroit de l’accompagnement, on prend soin d’être à l’écoute de la personne, de prendre le temps de créer du lien, de la confiance, de la fluidité aussi entre tous.tes les acteur.rice.s autour de la personne. On prend en compte les configurations familiales, les proches, les enfants, les personnes de la communauté.

 

En tant qu’interprète, Khawla porte un regard sur les réalités des conditions de vie et des difficultés d’accès aux droits et aux soins des femmes exilées en France :

Les femmes exilées, quand elles arrivent, ne connaissent pas leurs droits. Aussi, il n’y a pas suffisamment de lieux d’hébergement pour elles, et parfois même lorsqu’elles sont hébergées dans des centres, des violences vécues les poussent à partir.

Je constate qu’il n’y a pas assez de considération pour le recours à l’interprétariat professionnel dans les soins. Les pratiques changent selon les régions en France, certaines permettent un recours tout de suite pour une prise en charge adaptée, mais d’autres ne le prévoient pas.

L’intégration des femmes exilées dans la société ne peut pas se décréter ; il est essentiel de comprendre l’histoire de chaque femme pour la soutenir et l’accompagner au mieux. Il faut comprendre que les violences vécues, les conditions de vie peuvent rendre difficile d’apprendre la langue française.

 

Quels sont les obstacles identifiés par Mille Parcours pour répondre à leurs besoins, en particulier en termes d’accès aux soins ?

Les obstacles sont multiples : légaux, juridiques, la complexité du système de santé et son opacité, les freins à la mobilité avec la répression policière, l’insécurité politique, les dispositifs saturés, le recours lacunaire à l’interprétariat professionnel. Des contraintes sont inhérentes au cadre législatif et hospitalier, comme certaines impasses pour l’ouverture des droits, le bénéfice d’une couverture maladie.

Nous sommes inquiètes et en colère vis-à-vis des menaces qui planent sur l’Aide Médicale d’Etat (AME) et sur le droit au séjour pour raison médicale. Le dispositif est menacé de suppression car serait « instrumentalisé » par les personnes étrangères alors qu’il est déjà sous-opérant : les titres de séjour pour raisons de santé représentent 2% des admissions au séjour chaque année.

 

Face à ces obstacles, quelles sont vos actions de sensibilisation et de plaidoyer ?

Notre action dans un premier temps est de donner la parole aux premières concernées, de recueillir les témoignages de femmes exilées sur leurs difficultés d’accès aux droits et aux soins. Nous travaillons aussi à l’écriture d’un observatoire pour faire connaître les réalités du système de santé et des difficultés rencontrées.

Nous sensibilisons les professionnel.le.s, soignant.e.s, travailleur.euse.s sociaux.ales, pour comprendre la prise en soin spécifique des femmes exilées. Notre formation principale se déroule sur deux journées et s’adresse à des professionnel.le.s déjà sensibilisé.e.s, qui ont envie d’être dans une posture de réflexivité de mieux accompagner.

Nous agissons pour favoriser un accueil bienveillant, féministe, anti-raciste, au-delà du soin, pour un accès effectif aux dispositifs déjà existants, aux structures de droit commun.

 

🔗 Pour découvrir les actions de l’association Mille Parcours, cliquez ici.