28 avril 2025

Observatoire – Replay du troisième module sur les défis politiques, juridiques et linguistiques, de la demande d’asile à l’obtention d’une protection

Replay du troisième module sur les défis politiques, juridiques et linguistiques, de la demande d’asile à l’obtention d’une protection

« De la demande d’asile à l’obtention d’une protection : défis politiques, juridiques et linguistiques » a été la thématique abordée les 13 et 14 février 2025 dans le cadre du Module 3 du Programme 3D Dialogues, Droits et Diversité, action phare de l’Observatoire de l’intégration et de l’accès aux droits des personnes migrantes d’ISM Interprétariat.

L’objectif général de ce troisième module a été d’appréhender le droit d’asile aux prises avec les nouvelles politiques sur le territoire national et à l’échelle européenne, et d’analyser les enjeux d’accès aux droits et d’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale.

Le droit d’asile en France mis à mal par des politiques nationales et européennes toujours plus restrictives et répressives

Durant la première matinée du séminaire, cet objectif nous a amené.e.s à interroger, à travers l’intervention de Lucie Feutrier-Cook, experte en migration et droit d’asile, les premiers effets de la loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » un an après sa promulgation le 26 janvier 2024. S’inscrivant dans une prolifération législative sur l’asile et l’immigration, l’application de cette loi s’inscrit dans une actualité dense – voire hystérisée – et semble être le fruit d’une « vision obsessionnelle des migrations perçues comme une menace pour nos sociétés » (« Loi Asile et Immigration : un an après, le triste bilan des droits bafoués », janvier 2025)

Lucie Feutrier-Cook est ainsi revenue sur le fait que la réforme de l’asile, pourtant substantielle, est passée inaperçue, et ce, alors que ses effets sont délétères sur l’accès aux droits et la vie des personnes exilées. La réforme vient modifier et accélérer la procédure de demande d’asile, avec l’objectif de raccourcir les délais d’instruction, notamment à travers la création des Pôles France Asile (en remplacement des Guichets uniques de demande d’asile – GUDA) qui ne permettront plus aux demandeurs d’asile de bénéficier d’un temps de préparation à l’enregistrement de leur demande. La réforme touche aussi de façon importante la Cour nationale du droit d’asile (CNDA)où le principe de collégialité a été remplacé par l’audience à juge unique, même si pour le moment cette collégialité se maintient en pratique – et apporte un effet doublé de territorialisation, avec la création de chambres régionales, et de spécialisation de la Cour.

« L’ensemble de ce texte s’inscrit dans une boulimie législative. Cette loi propose une refonte profonde et structurelle de l’asile qui est passée relativement inaperçue et qui pourtant est loin d’être anecdotique puisqu’elle va toucher à la fois la procédure d’enregistrement et d’introduction de la demande d’asile en France mais aussi ses modalités d’examen en matière de recours […]. Elle touche aussi tout un pan qui consiste à écarter un certain nombre de personnes des conditions matérielles d’accueil (CMA), ce qui entraine des effets extrêmement délétères et dégradés sur les personnes qui les subissent. »

Il ressort que le débat public ne s’axe non pas sur l’amélioration de l’accueil et de l’inclusion des personnes dans nos sociétés, mais uniquement à travers un discours politico-médiatique investissant le prisme répressif et sécuritaire, instrumentalisant ainsi les politiques migratoires à des fins électorales.

«L’objectif est d’aller toujours plus vite, de raccourir toujours plus les délais de la procédure d’asile et de réduire la durée totale d’instruction de la demande d’asile, parce que cela a un coût, cet accueil des demandeurs d’asile, c’est en tout cas comme ça que la France le voit. C’est l’obsession qui est recherchée par les différentes nouveautés mises en application. »

  • L’intervention de Lucie Feutrier-Cook est à retrouver ici.

A l’échelle européenne, Laurent Delbos, adjoint de Direction Asile-Plaidoyer à Forum Réfugiés, nous a éclairé.e.s sur le contenu complexe du Pacte européen sur l’asile et la migration, un ensemble conséquent de dix textes – soit mille pages – adopté au printemps 2024 et devant entrer en application en 2026, comprenant redondances et incohérences.

« Le Pacte est un sujet extrêmement complexe et parfois incohérent, car [il s’agit] d’évolutions de politiques publiques [qui suivent des] logiques d’affichage politique parfois au détriment de toute rationalité, de tout sérieux juridique. »

Alors que ce Pacte a été présenté dans un contexte marqué par un enjeu de crédibilité pour l’Union européenne sur sa capacité à mener des réformes sur les questions migratoires, se pose alors la question, pour les Etats membres, de son applicabilité. En effet, le Pacte européen sur l’asile et la migration se compose majoritairement de règlements d’application directe (neuf règlements et une directive). Parmi eux, le « Règlement Filtrage » vient instituer un enfermement généralisé, massif et de longue durée aux frontières extérieures européennes, interrogeant ainsi l’accès au droit d’asile, les conditions d’identification des vulnérabilités et le contrôle du respect des droits fondamentaux des personnes enfermées.

« C’est un enjeu très important, presque l’enjeu principal de ce Pacte qui vient reproduire un modèle qui n’a pas fait ses preuves et qui a même largement échoué : celui des hotspots en Italie et en Grèce notamment qui sont largement critiqués pour ce qu’ils impliquent en termes de violation des droits des personnes, de la dignité humaine, de respect des procédures minimales, de droit au recours, etc. »

Le « Règlement Procédure » apporte quant à lui de nombreux changements, impacte notamment la procédure d’asile à la frontière et inscrit la notion de pays tiers sûr, avec le risque d’une application extensive de cette notion. Ce texte vient également étendre la possibilité de placer les personnes en procédure accélérée, annuler l’effet suspensif d’un recours en cas de rejet de la demande d’asile par l’Ofpra (c’est-à-dire mettre fin au droit au maintien sur le territoire bien qu’un recours auprès de la CNDA soit introduit) et réduire largement les délais de recours.

Alors que l’adoption du Pacte suscite de vives réactions de la part des associations engagées dans la défense du droit d’asile et des droits des personnes en quête de protection, Laurent Delbos a souligné le fait qu’une nouvelle loi à l’échelle nationale, permettant de transposer ce Pacte à l’été 2026, sera alors inévitable.

 

Après l’obtention d’une protection, faire face à de nouveaux défis : réunir sa famille et lutter contre le déclassement socio-professionnel

Si la procédure labyrinthique de la demande d’asile peut constituer un véritable parcours du combattant, le parcours d’intégration suite à l’obtention d’une protection l’est tout autant. Dans la deuxième matinée de séminaire, nous nous sommes attardé.e.s sur les difficultés rencontrées par les personnes bénéficiaires d’une protection internationale (BPI) à travers deux champs de la vie : la vie de famille et l’insertion socio-professionnelle, deux sujets trop rarement évoqués.

Alors que le droit à la réunification familiale découle de la Convention de Genève et du droit européen, des préjugés peuvent persister dans l’opinion publique quant à la « facilité » avec laquelle il serait possible de faire venir sa famille en France. Charlotte Lassus et Sarah Payen, juristes à la coordination Réunifications familiales du Rétablissement des Liens Familiaux (RLF) de la Croix-Rouge française sont ainsi venues nous présenter l’accompagnement holistique proposé par le RLF, décortiquer les idées préconçues sur la réunification familiale en nous exposant ses particularités et sa complexité, et nous éclairer sur les défis linguistiques et culturels dans l’accompagnement des familles à réunir.

La procédure de réunification familiale est soumise à de nombreuses conditions, fait face à une accumulation et à un entrecroisement d’obstacles, et constitue une procédure extrêmement longue et complexe. Le passage par cette procédure juridico-administrative est obligatoire pour que les membres de la famille éligibles puissent rejoindre la personne BPI via une voie légale et bénéficier d’un titre de séjour en France. Par ailleurs, un véritable enjeu de compréhension de la procédure et des étapes qui la composent est à l’œuvre pour les personnes à réunir, et le rôle de l’interprète y est alors pivotal :

« Dans le cadre de l’accompagnement que l’on propose, nous avons recours aux interprètes que l’on associe du début à la fin de la procédure. L’aide des interprètes est très précieuse pour s’approprier les démarches dans un cadre légal très restrictif qui va additionner plusieurs conditions pour le public BPI et leur famille à l’étranger. Ce sont des subtilités administratives difficiles à saisir. L’interprétariat, c’est faire part de la compréhension des systèmes administratifs mais aussi le langage linguistique et corporel qui nous aide à tisser une relation de confiance avec les personnes que l’on accompagne. C’est aussi très important que la famille à l’étranger puisse être inclue dans la procédure [de réunification familiale]. »

A mesure que les politiques et législations se durcissent, les conditions d’accès à la réunification se voient elles aussi complexifiées, et la procédure entravée. Les rejets de demande de visa sont de plus en plus nombreux, allongeant ainsi davantage le temps de séparation des familles. L’exil, le temps long de la demande d’asile et de la procédure de réunification familiale impactent fortement la vie de famille et l’état psychique des personnes exilées. Comment vivre ici, avec une protection en France, quand notre conjoint.e ou nos enfants sont encore dans le pays d’origine, dans un état limitrophe ou dans un camp de réfugié.e.s, vivant dans des conditions parfois extrêmement précaires et dangereuses ?

Dehia Ourtilane, doctorante en anthropologie et chargée d’études au sein de l’association UniR – Universités & Réfugié.e.s, a ensuite abordé l’invisibilisation des personnes BPI diplômées et la nécessité de penser leur accompagnement. En effet, 40% d’entre elles ressentent un déclassement socio-professionnel en France et seules 2% accèdent à un poste de cadre. Elles ont ainsi deux fois plus de risque d’être surqualifiées lorsqu’elles occupent un emploi en France. Dans ses travaux de recherche, Dehia Ourtilane émet l’hypothèse selon laquelle retrouver en France une situation socioprofessionnelle égale à celle occupée dans le pays d’origine apparait peu plausible pour les profils les plus hautement qualifiés, s’attache à identifier les phénomènes qui engendrent ces situations et questionne le rôle de la reprise d’études supérieures comme réponse au déclassement socio-professionnel.

« [Nous avons] constaté qu’en favorisant la reprise d’études, nous pouvons non seulement valoriser les compétences, les expériences et les acquis des personnes, mais également favoriser une inclusion plus rapide et durable. »

Néanmoins, la reprise d’études est un parcours semé d’obstacles : les entraves à l’accès à la bonne information ; la barrière linguistique avec le difficile accès aux cours de français pendant la demande d’asile et l’interdiction de travailler ; les limites du système de reconnaissance des qualifications ; les contraintes des professions réglementées ; et au-delà, les problèmes structurels tels que l’accès à l’hébergement/au logement. Face à ces difficultés, UniR porte des recommandations de plaidoyer, comme la mise en œuvre de politiques de reconnaissance des qualifications plus élargies, de recrutement plus inclusif et de lutte contre les discriminations, et l’octroi de moyens supplémentaires pour l’accompagnement des personnes BPI.

 

Interpréter dans le champ de l’asile : une pratique exigeante au service de la demande de protection et de l’intégration de la personne exilée

Lors de ces deux matinées de séminaire, Jésus Harushingingo, interprète expert du Module et référent des interprètes d’ISM Interprétariat à la CNDA, nous a éclairé.e.s sur ce qu’est un interprète spécialisé dans le champ de l’asile : un professionnel formé et  doté d’un savoir-être lui permettant d’écouter avec patience, empathie et humanité, de transmettre la parole de la personne en demande d’asile – qui a souvent subi violences et traumatismes – sans aller au-delà de la mission confiée et respectant le cadre déontologique du métier. L’interprète dans le champ de la demande d’asile se doit de faire preuve de rapidité, de précision et d’une grande capacité d’adaptation, car il/elle est confronté.e à des situations et à des profils de personnes très variés.

L’interprète est un maillon essentiel à la communication et à la compréhension entre deux personnes ayant des références culturelles différentes. Dans le parcours d’intégration, l’accès à la bonne information est primordial et l’interprète se fait ici aussi médiateur culturel : il/elle vient permettre aux personnes d’accéder à leurs droits, et agir sur leur intégration car elles comprennent désormais les codes de la société dans laquelle elles ont vocation à s’insérer et à participer.

« Une fois que la personne est reconnue réfugiée, c’est un parcours du combattant qui commence. [Si à la complexité des démarches administratives] s’ajoutent la barrière de la langue et la barrière de la culture, ça devient un combat perdu d’avance si on n’a pas de professionnel.le.s qui vont nous aider à accéder à l’information. Saisir l’information, c’est s’approprier des éléments de la culture de l’autre. L’interprète va aider – avec sa casquette de médiateur culturel – à expliquer les codes culturels de la société dans laquelle [la personne] va devoir vivre et s’adapter. »

  • L’intervention de Jésus Harushingingo est à visionner ici.