19 décembre 2024

Observatoire – Replay du premier module sur l’accès aux droits et aux services publics

Les 14 et 15 novembre 2024 s’est tenu le premier module de la 3ème édition du Programme 3D, Dialogues, Droits et Diversité, porté par l’Observatoire de l’intégration et de l’accès aux droits des personnes migrantes. Ce séminaire avait pour sujet « Accès aux droits et aux services publics : barrières et précarités ».

Un accès aux droits et aux services publics entravé par une dématérialisation dysfonctionnelle et l’accès à l’information comme levier de lutte contre la précarisation des personnes exilées

La première intervention, intitulée « Les nouveaux enjeux de la précarité administrative : un phénomène accentué par la dématérialisation, des conséquences économiques et sociales tangibles » a été animée par Benoît Rey, juriste coordonnateur au Pôle des droits fondamentaux des étrangers du Défenseur des droits.

Il a souligné que la précarité administrative ne résulte pas uniquement de la dématérialisation des démarches administratives mais qu’elle s’explique aussi par les durcissements et les changements successifs de réglementations, et par la priorité donnée à l’éloignement et à la lutte contre la fraude.

Au fur et à mesure du développement de l’administration numérique, dont l’illustration la plus édifiante est l’ANEF (Administration Numérique pour les Etrangers en France), de nombreux dysfonctionnements ont été constatés, parmi lesquelles l’insuffisance de rendez-vous disponibles, la non-délivrance des attestations de décisions favorables et des attestations de prolongation d’instruction (API). De ces dysfonctionnements découlent des situations d’interruption du droit au séjour, de perte et de ruptures de droits sociaux (prestations sociales, formation, emploi, etc.) et accentuent ainsi la précarisation des personnes étrangères.

  • L’intervention de Benoît Rey est à retrouver  ici.

> Pour plus d’information, le Défenseur des droits a publié le 11 décembre 2024 un rapport intitulé « L’Administration numérique pour les étrangers en France (ANEF) : une dématérialisation à l’origine d’atteintes massives aux droits des usagers ».

Face à la précarisation des personnes exilées, l’association Watizat se donne pour mission de militer pour l’accès à l’information des personnes exilées en France, considérant qu’une information obsolète est une information dangereuse, et qu’une information actualisée, libre d’accès et fiable est une ressource vitale pour les personnes exilées volontairement précarisées par l’Etat, et constitue alors un véritable levier dans l’accès aux droits, à la procédure de demande d’asile et dans la réponse aux besoins fondamentaux. Jasmine Guedjou (membre du Conseil d’Administration) et Ginevra Caterino (coordinatrice de l’antenne de Paris) ont ainsi présenté les guides d’information de Watizat et leurs modalités de diffusion sur le terrain, ainsi que le travail de plaidoyer de l’association s’effectuant notamment par le biais de travaux d’enquêtes inter-associatives.

  • Pour davantage d’information sur les actions de Watizat, le replay est à visionner ici.

Un accès à la protection sociale et à la santé sans cesse entravé

Lors de la deuxième matinée de ce séminaire, Lola Isidro, maîtresse de conférences en droit à l’Université Paris Nanterre a abordé les « Enjeux et évolutions du cadre juridique d’accès à la protection sociale des personnes étrangères en France ». Elle a rappelé que la protection sociale – qui relève pour une très grande part du service public – n’est pourtant pas tous publics. En effet, les personnes étrangères sont soumises à des conditions spécifiques qui limitent leur droit à la protection sociale.

« Certain.e.s persistent à soutenir qu’il suffit pour une personne étrangère de poser le pied sur le sol français pour être bénéficiaire au même titre que les nationaux de prestations sociales. Pourtant, rien dans l’histoire de la protection sociale ni dans les règles qui la gouvernent ne permet d’accréditer cette thèse. »

 

Alors que la condition historique de nationalité pour bénéficier de la protection sociale en France a été bannie par le législateur en 1998 suite à une forte pression jurisprudentielle, cette condition fut remplacée, dès les années 70, par la condition de régularité du séjour, puis à partir des années 2000 par la condition de résidence régulière préalable, qui, selon le chercheur Antoine Math, s’apparente à une « préférence nationale déguisée », en ce sens qu’elle va exclure pendant de nombreuses années les personnes étrangères du bénéfice de prestation sociale.

  • Pour écouter l’intervention de Lola Isidro sur l’évolution de la protection sociale à travers l’histoire, le replay est disponible ici.

 

Matthias Thibeaud, référent technique et plaidoyer « Accès aux Droits Santé » au sein de Médecins du Monde, a apporté quant à lui un éclairage spécifique sur les entraves dans l’accès à l’Aide Médicale d’Etat (AME) et leurs graves conséquences sur la santé des personnes exilées.

« Ce ne sont pas les fraudes et les abus qui caractérisent l’AME, mais le non-recours et la difficulté pour les personnes concernées à faire valoir leurs droits. »

 

 

En effet, parmi les personnes éligibles au dispositif, le taux de non-recours est de 49% (Premier Pas, IRDES, 2019). Cela s’explique par les multiples obstacles et dysfonctionnements qui viennent entraver l’accès à l’AME, à toutes les phases administratives de la procédure. Une couverture territoriale insuffisante, l’obligation du dépôt physique des premières demandes d’AME au guichet des CPAM (réforme de 2019), la complexité et l’hétérogénéité des modalités de dépôt selon les CPAM, les difficultés de prise de rendez-vous dans un contexte de dématérialisation des services publics, les échéances de rendez-vous trop lointaines, la diffusion d’information erronée de la part de l’Assurance maladie, l’accueil inadapté en agence (absence d’interprétariat), etc. ont de lourdes conséquences sur les personnes exilées. En effet, parmi les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête inter-associative « Les entraves dans l’accès à la santé – Les conséquences de la réforme 2019 sur le droit à l’AME » (avril 2023), 7 sur 10 ont renoncé aux soins et 64% ont rencontré des difficultés pour se soigner faute de couverture santé.

Malgré ce constat alarmant, les menaces politiques ne cessent de peser sur l’AME, qui constitue un dispositif déjà fragilisé par les précédentes réformes législatives. Au cours des 18 derniers mois, on constate une intensification des attaques contre l’AME avec une succession de séquences politiques qui contiennent chacune un certain nombre de menaces : de la suppression de l’AME à des restrictions réglementaires par décret, c’est-à-dire sans passer par le vote du Parlement. Si l’AME est constamment portée à l’agenda politique et médiatique, l’extrême droite en a fait « un symbole de sa politique xénophobe et de santé », et le nouveau ministre de l’Intérieur Monsieur Retailleau attaque systématiquement l’AME à travers un prisme migratoire. Face à ces attaques incessantes, Médecins du Monde – très inquiète sur les conséquences d’une prochaine restriction ou d’une suppression de l’AME sur les personnes exilées précaires – plaide et milite pour l’intégration des personnes éligibles à l’AME au régime général de sécurité sociale.

  • L’intervention de Matthias Thibeaud est disponible ici.

 

Le métier d’écrivain public-interprète et son rôle essentiel dans l’accès aux droits et aux services publics des personnes allophones

Lors de ces deux matinées de séminaire, Mamadou Ba, interprète expert et écrivain public d’ISM Interprétariat, nous a éclairé sur son métier, peu connu et pourtant essentiel à travers sa mission d’accompagnement des personnes en situation de précarité dans l’accès à leurs droits et aux services publics.

Mamadou Ba constate que les personnes usagères des permanences d’écrivain public sont essentiellement d’origine étrangère vivant dans les quartiers populaires, en situation de vulnérabilité et de précarité linguistique et sociale. Elles sont souvent allophones, analphabètes et illettrées, d’où l’immense nécessité de l’interprétariat dans les permanences d’écrivain public qui vient lever la barrière de la langue, de l’écrit et de l’écran.

En écho aux précédentes interventions, Mamadou a souligné que la dématérialisation des démarches administratives n’est pas seulement venue complexifier l’accès aux droits des personnes en situation de précarité, mais aussi le travail de l’écrivain public-interprète qui les soutient dans leurs démarches.

Avant la dématérialisation, « les liens avec les différents services se faisaient essentiellement par courrier et par téléphone. Les usagers eux-mêmes étaient souvent impliqués dans leurs démarches […]. Les évolutions dans le fonctionnement de l’administration ont apporté des changements notables dans les démarches administratives et sociales. »

 

L’écrivain public reste le maillon de proximité le plus sollicité par les personnes allophones, vient agir auprès des personnes les plus vulnérables et joue ainsi un important rôle dans leur intégration.

  • Revoir les interventions de Mamadou Ba ici.

Le prochain module du Programme 3D se tiendra les 16 et 17 janvier 2025 en visioconférence autour de la thématique « Lever les barrières linguistico-culturelles pour soigner les maux de l’esprit ». Inscriptions ci-dessous :