25 février 2025

Observatoire – Replay du deuxième module sur la santé mentale des personnes exilées

Les 16 et 17 janvier 2025, s’est tenu le deuxième module de la 3ème édition du Programme 3D, Dialogues, Droits et Diversité, porté par l’Observatoire de l’intégration et de l’accès aux droits des personnes migrantes d’ISM Interprétariat. Ce séminaire en ligne était consacré à la thématique « Lever les barrières linguistico-culturelles pour soigner les maux de l’esprit ».

La souffrance psychique des personnes exilées : un enjeu de de santé publique, ignoré par les pouvoirs publics

Ce séminaire a été ouvert par l’intervention de Maxime Guimberteau, responsable communication et plaidoyer au Centre Primo Levi, intitulée « La santé mentale des personnes exilées : une souffrance invisible ».

Il a partagé les constats et recommandations établis dans le dernier rapport de plaidoyer de l’association, en termes de prise en compte et de prise en charge de la santé mentale des personnes exilées. Maxime Guimberteau a pointé le fait que celle-ci ne cesse de s’aggraver et constitue véritablement une souffrance invisible. En effet, les personnes exilées subissent un continuum de violences : celles subies dans le pays d’origine, tout au long du parcours d’exil, et celles résultant de la politique de « désaccueil » en France. Alors qu’elles endurent une accumulation de traumatismes et sont extrêmement fragilisées, le Centre Primo Levi constate que ni le système de santé actuel, ni les dispositifs d’accueil et de soins publics ne sont adaptés pour identifier et répondre aux besoins : problème d’orientation, responsabilité de prise en charge par les associations spécialisées non soutenues financièrement, confrontation entre le temps psychologique pour mettre en mots l’exil et les traumatismes et le temps administratif, insuffisance du recours à l’interprétariat professionnel, etc.

De surcroît, la santé mentale des personnes exilées reste une grande absente des politiques d’asile et d’immigration et de leurs débats, avec en dernier exemple la loi du 26 janvier 2024, centrés uniquement sur des enjeux sécuritaires, de répression et de contrôle. Tandis que la santé mentale des personnes exilées constitue un enjeu de société et de santé publique, le Centre Primo Levi plaide pour que la prise en compte de la souffrance psychique fasse partie intégrante de l’accueil – d’un accueil digne – et permette ainsi l’intégration des personnes exilées.

« Il n’y avait pas une seule occurrence sur les mots ‘santé mentale’ dans le projet de loi. »

 

 

 

En écho à l’intervention de Maxime Guimberteau, Andrea Tortelli, psychiatre, cheffe de service du Capsys (Pôle GHU Psychiatrie Précarité – Hôpital Sainte Anne), chercheuse à l’Inserm et affiliée à l’Institut Convergences Migrations, est ensuite intervenue.

Andrea Tortelli est spécialisée dans les troubles psychiatriques des personnes exilées et a expliqué que l’exil est une expérience complexe et unique, impactée par de multiples événements, sources de niveaux de détresse psychologique différents, pouvant amener à des troubles psychiatriques. Plusieurs études ont mis en exergue le fait que les personnes exilées (et leurs descendant.e.s) présentent un risque accru de développer des troubles psychiques, en comparaison aux personnes natives du pays, à cause d’une accumulation de violences subies et de facteurs environnementaux de vulnérabilité, comme les conditions de vie dans les pays d’accueil. Alors que l’accès aux soins de santé mentale est entravé par la difficulté d’accès aux services publics, les longs délais d’attente et le non-recours à l’interprétariat professionnel, Andrea Tortelli a présenté les réponses apportées par le Capsys, qui cherche à faciliter l’accès aux soins psychiatriques des personnes exilées précarisées grâce à une approche globale et intégrative.


 

Favoriser l’accès aux soins en santé mentale grâce à la clinique transculturelle et à la formation des soignant.e.s au travail collaboratif avec des interprètes professionnel.le.s

Lors de la deuxième matinée de ce séminaire, Amalini Simon, docteure en psychologie et directrice du Centre Babel, a abordé « La clinique transculturelle au cœur des rencontres entre les différents mondes ».

Amalini Simon est spécialiste des questions de santé mentale des personnes exilées et de l’approche transculturelle dans le soin thérapeutique, notamment dans les relations entre les parents et leurs enfants exilés. Le Centre Babel, situé à l’Hôpital Cochin à Paris, a pour mission d’optimiser la prise en charge des usagers des services publics en introduisant les concepts de clinique transculturelle dans la pratique des professionnel.le.s. L’équipe du Centre intervient auprès des soignant.e.s hospitaliers et des professionnel.le.s accompagnant les familles dans les domaines socio-éducatifs ou médico-psychologiques.

Amalini Simon est revenue sur la définition de la clinique transculturelle, qui est une intervention de « seconde intention » ayant pour but d’aider les soignant.e.s, les patient.e.s et leurs familles à surmonter les blocages rencontrés dans le soin grâce à la compréhension des représentations culturelles ou de la situation familiale du patient.e.

« L’approche transculturelle permet d’exprimer les différences tout en les dépassant au sein d’une communauté partagée, transculturelle, où on construit ensemble, à partir de la reconnaissance de la différence. »

Elle a pour particularité de faire intervenir un groupe pluridisciplinaire de professionnel.le.s et fonde son action sur le postulat selon lequel  « il est nécessaire, pour comprendre et accompagner efficacement les familles, de prendre en compte leur(s) langue(s) maternelle(s), leurs affiliations culturelles, mais aussi leur expérience migratoire et leurs métissages dans toute démarche de prise en charge, médicale, sociale ou psychologique », d’où l’importance du recours à l’interprétariat et du rôle de l’interprète professionnel.le qui vient mobiliser sa palette de compétences au service de l’accompagnement et du soin du/de la patient.e allophone.

  • Pour écouter l’intervention d’Amalini Simon, le replay est disponible ici.

 

Daria Rostirolla, psychologue clinicienne et docteure en anthropologie, est revenue quant à elle sur une étude co-menée avec Stéphanie Larchanché intitulée « Dessiner pour repenser : valorisation d’un projet de recherche-action sur le thème de l’interprétariat en santé mentale », qui a émergé de l’expérience du centre Françoise Minkowska et du constat de l’importance de la problématique linguistique dans les obstacles à la prise en charge des patient.e.s exilé.e.s . La recherche-action menée n’avait ainsi pas simplement pour but de créer du savoir scientifique mais surtout de faire évoluer les pratiques de terrain, ici des professionnel.le.s intervenant.s en Centre Médico-Psychologique (CMP).

Daria Rostirolla a souligné qu’alors que les personnes exilées empruntent des trajectoires sociales et sanitaires complexes, s’ajoutant au parcours d’exil, la problématique linguistique vient s’ajouter comme un facteur aggravant leurs situations. En effet, elle constitue un obstacle supplémentaire dans leur prise en charge dans les dispositifs de droit commun et donc dans leur parcours de soin en santé mentale. Cette problématique linguistique est par ailleurs la plus fréquemment invoquée par les professionnel.le.s des CMP comme motif principal d’une orientation vers une structure spécialisée.

« Les barrières linguistiques constituent l’un des facteurs les plus critiques dans les disparités de santé. Pour les personnes migrantes et exilées, les barrières linguistiques constituent un facteur de fragilisation majeur sur la santé mentale. Elles [viennent] compliquer significativement l’accès aux soins, provoquent une errance médicale […], peuvent générer des malentendus linguistiques et culturels qui, si non décodés, risquent d’entraver la construction d’une alliance thérapeutique efficace. »

Il résulte de cette recherche-action que la mise en place de formations auprès des professionnel.le.s de CMP en termes de « compétence culturelle » et de travail collaboratif avec des interprètes a permis de lever les freins dans la prise en charge des patient.e.s exilé.e.s par les CMP sectorisés et non spécialisés. Les représentations et les pratiques des professionnel.le.s ont ainsi évolué – comprenant désormais le rôle de l’interprète, véritable médiateur entre les mondes des représentations de ceux/celles-ci et des patient.e.s  allophones. Le recours à l’interprétariat a nettement augmenté, facilitant ainsi l’accès aux soins de santé mentale des personnes exilées allophones dans les structures de droit commun ayant participé à l’étude.


L’interprète en santé mentale : pont catalyseur entre soignant.e.s et soigné.e.s

Lors de ces deux matinées de séminaire, Khady Camara, interprète à ISM Interprétariat depuis 1988 en soninké, dioula, bambara et wolof, a témoigné de son rôle et des spécificités de ses interventions auprès des professionnel.le.s de santé et des patient.e.s dans le champ de la santé mentale. En effet, Khady dispose d’une grande expérience professionnelle d’interprète, est régulièrement sollicitée pour participer à des consultations transculturelles ou des médiations aux côtés notamment d’Amalini Simon, et a également eu l’occasion de travailler auprès de Daria Rostirolla au centre Françoise Minkowska.

Elle nous a éclairé.e.s sur le rôle de l’interprète en santé mentale en utilisant l’image du « pont catalyseur » qui vient favoriser l’instauration d’une relation de confiance entre soignant.e et soigné.e, préalable nécessaire pour faire adhérer le patient au soin. Alors qu’en santé mentale chaque mot compte, Khady a rappelé qu’interpréter dans ce cadre, ce n’est pas seulement traduire des mots, mais aussi des émotions, des vécus, des hésitations, des souffrances, des non-dits et des silences. En consultation, l’interprète est un facilitateur émotionnel et va permettre d’apaiser les malentendus culturels et lever des tabous, au service du soin thérapeutique.

La co-intervention soignant.e.s/interprètes constitue un outil permettant d’aider le/la patient.e, qu’il soit enfant ou adulte, à mettre en mots ses maux.  L’interprète y joue alors un rôle clé, car sa présence et les compétences mobilisées vont contribuer à développer le pouvoir d’agir des patient.e.s, et à bâtir des ponts entre les langues, les représentations culturelles du/de la patient.e et celles des soignant.e.s. Cela favorise ainsi la construction d’un récit commun, entendable par l’ensemble des acteurs de la consultation et permet une prise en charge adaptée grâce à la mise en œuvre d’une alliance thérapeutique soignant.e.s/patient.e.s de qualité.

« Chaque échange est une opportunité, pas seulement de traduire des mots, mais aussi des concepts culturels qui sont aussi teintés d’histoires personnelles, de représentations. C’est fondamental d’assurer une interaction, et qu’il y ait une collaboration fluide entre le patient et le clinicien. Ça ouvre la voie à des soins de meilleure qualité. Et ça favorise aussi l’adhésion à la thérapeutique : lorsqu’un patient se sent compris dans son langage, dans sa culture, il est plus enclin à s’engager activement dans son parcours de soins. » 


 

Le troisième module du Programme 3D a eu lieu les 13 & 14 février 2025 autour de la thématique « De la demande d’asile à l’obtention d’une protection : défis politiques, juridiques et linguistiques ».

Prochain rendez-vous les 20 & 21 mars 2025 pour le quatrième Module « Vivre et dire son intimité en situation de migration ». Inscriptions ci-dessous ⤵️