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Témoignage – Journée mondiale de la santé mentale : l’interprétariat pour soigner les maux de l’exil
Le 10 octobre est la Journée mondiale de la santé mentale. Cette année le thème est « la santé mentale est un droit humain universel », l’occasion pour l’Organisation Mondiale de la Santé de rappeler que « la santé mentale est un droit humain fondamental pour toutes et tous. Toute personne, quelle qu’elle soit et où qu’elle se trouve, a droit au meilleur état de santé mentale possible ».
En cette journée, ISM Interprétariat souhaite mettre en lumière l’importance de renforcer le recours à l’interprétariat professionnel pour l’accès aux soins de santé mentale des personnes exilées allophones.
Les traumatismes, les violences physiques et psychologiques vécues par les personnes exilées dans leur pays d’origine, sur le parcours migratoire, et qui se poursuivent dans le pays d’accueil, impactent et aggravent profondément leur état de santé mentale (La souffrance psychique des exilés, Une urgence de santé publique, Centre Primo Levi et Médecins du Monde, 2022).
Malgré les vulnérabilités et les besoins qui en découlent, les barrières à l’accès aux soins de santé mentale sont nombreuses pour les personnes exilées : offre de soins inégale selon les structures et les territoires, difficulté d’identifier les besoins, absence d’accompagnement adapté et transversal, barrière de la langue et insuffisance du recours à l’interprétariat professionnel, etc.
La barrière de la langue est particulièrement néfaste car comment soigner les maux de l’esprit, sans parler la même langue et sans se comprendre ? Au-delà des mots, un accompagnement adapté au patient et à ses troubles est conditionné à la compréhension de son identité culturelle.
Le recours à l’interprétariat professionnel est l’unique levier permettant la construction d’une véritable relation thérapeutique, approfondie et confiante, entre le professionnel de santé et le patient.
Garant d’impartialité, de neutralité, et de confidentialité, l’interprète est capable d’adapter sa posture, aux attentes du thérapeute, allant du passeur linguistique, au référent culturel, et au collaborateur bilingue (Santé mentale & interprétation : une collaboration interprofessionnelle riche de sens, Guide pratique à destination du thérapeute et de l’interprète, Delizée et al., 2021).
Christine THEODORE, psychologue à l’Etablissement Public de Santé Ville-Evrard rattaché au département de la Seine-Saint-Denis, témoigne de l’accompagnement de patients exilés allophones, assuré avec le concours d’interprètes professionnels d’ISM Interprétariat :
Quels sont les profils et les troubles dont souffrent les patients exilés que vous accompagnez ?
Ce sont des consultations de seconde intention. Toutes les problématiques psychiatriques où les patients ont réussi à faire affaire avec le système conventionnel sont déjà prises en charge. Il y a deux portes d’entrée pour nos consultations : une personne évoque une étiologie dite traditionnelle, par exemple « j’ai été envouté.e », et les autres professionnels de santé ne savent pas comment traiter cela, ou alors la prise en charge d’une personne, même de longue durée, n’avance pas, avec des hospitalisations répétées et on se sert à ce moment-là de la culture comme médiation. Nous assurons une prise en charge globale du patient, allant de la compréhension de sa culture à la prescription de médicaments. Pour accompagner le patient, nous travaillons par le biais d’un double diagnostique, sans confondre les deux, avec d’un côté la dimension psychiatrique et psychologique, et d’un autre côté la dimension anthropologique et culturelle.
Selon vous, quels sont les apports d’un interprète professionnel pour une thérapie avec une personne exilée qui ne parle pas français ? D’un côté pour vous en tant que psychologue et d’un autre côté pour le patient ?
C’est une question de nature conversationnelle. Il est évident que les enjeux relationnels sont très importants, notamment en psychologie. Par exemple, un cousin pris dans les histoires familiales ne peut pas traduire quelque chose qui évoque un conflit au sein de la famille. Les enjeux d’une conversation clinique ne sont pas les enjeux de n’importe quelle conversation. Certains vantent les applications de traduction, ou font appel à leurs collègues soignants pour servir d’interprètes. Lutter contre ces pratiques fait partie de mes combats. Utilisatrice des services d’ISM depuis 2003, je peux dire que le recours à l’interprétariat permet une meilleure compréhension, à la fois linguistique, culturelle et psychologique. L’interprète est un allié : puisque le patient a confiance en l’interprète, ce dernier est une médiation pour la confiance en le thérapeute. Un soin bien compris est un soin qui fonctionne mieux. La loi dit que pour tout soin, il faut qu’il y ait une autorisation du patient, en toute compréhension. N’importe quel acte, que ce soit la prescription de médicament ou une opération, doit être accompagné du consentement libre et éclairé du patient. Comment cela pourrait-être possible sans interprète ? La question de l’interprétariat en santé, ce n’est pas juste traduire « doliprane ». C’est un sujet dont la composante relationnelle est extrêmement haute et qui est lié plus largement à l’accueil des patients.
Pour vous, quelles sont les règles et les pratiques à mettre en place pour favoriser l’accès à l’interprétariat en matière de santé mentale ?
Je suis favorable à ce qu’un acte d’interprétariat en santé voit le jour pour qu’il soit remboursé par la sécurité sociale. De plus, je suis très favorable à ce que les établissements de santé soient financés pour recourir à l’interprétariat. Au-delà de l’interprétariat, il est important de sensibiliser au fait que la nature d’un être humain dans une culture donnée n’est pas la même d’une culture à l’autre. Les modes de prise en charge ne sont pas les mêmes. Ainsi, au-delà de la traduction, il y a la sensibilisation à l’anthropologie de la santé.
Comme le docteur THEODORE, chaque jour, ce sont des dizaines de professionnels de santé à travers la France qui sont accompagnés dans leurs structures par des interprètes de notre association : centre médico-psychologique, hôpital psychiatrique, équipe mobile psychiatrie et précarité, permanence d’accès aux soins de santé psychologique, association, etc.
Afin de permettre un accès et un accompagnement effectifs des personnes exilées en matière de soins de santé mentale, au plus près de leurs besoins et de leurs vulnérabilités spécifiques, il est essentiel de consacrer des moyens organisationnels, humains et financiers aux structures et aux professionnels de santé.
Le renforcement du recours à l’interprétariat professionnel en fait partie : il doit être systématisé dès lors que le patient ne maitrise pas encore le français.
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