02 mai 2023

Observatoire – Retour sur le module #4 du Programme 3D : « L’interprétariat, garant de l’accès aux droits dans les lieux de privation de liberté »

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Le quatrième module du Programme 3D « Dialogues, Droits et Diversité », intitulé « L’interprétariat, garant de l’accès aux droits dans les lieux de privation de liberté » s’est tenu les 16 et 17 février 2023 et a rassemblé une soixantaine de personnes issues du milieu de l’interprétariat et la traduction, agents des services publics, notamment de l’administration pénitentiaire, personnes agissant dans le milieu associatif et médico-social, étudiants qui ont pu échanger sur l’accès aux droits des personnes migrantes allophones privées de liberté.

Malgré leur caractère fondamental dans l’accès aux droits des personnes migrantes allophones, le droit et le recours à l’interprétariat des personnes privées de liberté restent restreints. Entre zone d’attente, détention et rétention administrative, les réglementations et l’effectivité des droits diffèrent. Nous avons donc exploré le cadre juridique, les enjeux et aspects pratiques dans ces deux univers distincts.

Les interventions

La première demi-journée a donc été consacrée au monde de la rétention et a débuté avec une intervention de Lucie Feutrier-Cook, consultante en migrations, droit d’asile et action sociale. Elle a abordé la double barrière de compréhension que les personnes allophones privées de liberté doivent surmonter : la barrière linguistique mais également celle liée à la technicité du langage juridique. Cette double barrière est d’autant plus difficile à appréhender qu’il existe une faible reconnaissance du droit à l’interprétariat, notamment dans le CESEDA.  L’opacité et les pratiques hétérogènes peuvent alors prospérer et léser l’accès aux droits des personnes en zone d’attente ou en rétention, alors même qu’il s’agit de lieux où se décide leur avenir : autorisation d’entrée en France pour la zone d’attente, éloignement pour la rétention.

L’intervention d’Adrien Chhim, responsable du service d’aide aux étrangers retenus à France terre d’asile, a plutôt abordé les aspects pratiques sur l’accès à l’information et l’exercice effectif des droits des personnes allophones en centre de rétention administrative. Il a retracé le parcours d’une personne retenue, les délais successifs pour contester les décisions prises à son égard et l’état de vulnérabilité et de détresse dans lequel se trouvent les personnes face à ces temps d’attente, particulièrement les personnes qui ne sont pas en mesure de comprendre et d’être comprises par l’administration, les co-retenus, les associations qui interviennent en CRA.

La deuxième journée du module 4 a été consacrée au monde de la détention, de la prison. Marc Duranton, responsable national des questions prison au pôle enfermement/expulsion de la Cimade ; Amalia Kamel, bénévole à la prison d’Osny-Pontoise et Alexandre Rito, intervenant à la prison de Fresnes, ont partagé leurs observations sur le recours à l’interprétariat et l’accès aux droits des personnes détenues. Ils et elle ont notamment évoqué le bricolage à l’œuvre en ce qui concerne l’interprétariat, le traitement pénal différencié auquel sont confrontées les personnes étrangères et les situations hétérogènes en fonction de régions, des établissements pénitentiaires. Le faible recours à l’interprétariat rend, bien entendu, l’accompagnement des personnes allophones détenues d’autant plus difficile.

Capucine Jacquin-Ravot, contrôleure au Contrôle Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) et rédactrice de l’avis du 3 mai 2022 relatif à l’interprétariat et à la compréhension des personnes privées de liberté, a conclu l’après-midi d’échanges en précisant que si l’arrivée en prison est une rupture pour toutes les personnes détenues, la recherche de repères est moins aisée pour celles qui sont allophones. Puisque ces personnes ont accès à moins d’activités, qu’elles ne peuvent comprendre et se faire comprendre, le dialogue se dilue, puis disparaît et l’on retrouve parfois des personnes complètement isolées. Madame Jacquin-Ravot a également rappelé que l’accès à l’interprétariat influence la façon dont sont perçues les personnes allophones. Le CGLPL recommande alors, par exemple, de systématiser le test d’alphabétisation à l’arrivée en prison, de conclure des conventions avec un service d’interprétariat dans chaque lieu de privation de liberté, d’éviter les notifications collectives et de réaliser des entretiens en présence d’interprètes à intervalles réguliers pour s’assurer de l’expression des besoins de la personne détenue.

Durant ces deux demi-journées nous avons ainsi dressé un état des lieux de l’accès à l’interprétariat, et son impact dans l’exercice des droits, des personnes allophones en privation de liberté. Nous avons donc constaté une vulnérabilisation accrue des personnes incapables de se faire comprendre et de comprendre l’administration. Si le recours à l’interprétariat est prévu dans les textes lorsque l’on traite des libertés fondamentales, les conditions matérielles et d’exercice des droits sont très variables. La faiblesse du cadre juridique et la variabilité de son application entraînent une opacité délétère pour les personnes allophones privées de liberté.

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