29 septembre 2022

Témoignage – L’impact de la crise ukrainienne sur le métier de traducteur

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Chaque année, traducteurs/trices, interprètes et linguistes du monde entier célèbrent la Journée internationale de la traduction le 30 septembre. Une date clef qui, selon les Nations Unies, permet notamment de « rendre hommage aux spécialistes des langues et de souligner l’importance de leur travail pour unir les nations, faciliter le dialogue, permettre la compréhension et la coopération, favoriser le développement et renforcer la paix et la sécurité dans le monde ».

Pour valoriser ce que la traduction peut accomplir, notamment dans un climat et une actualité complexes, et souligner l’enjeu de communication interculturelle, ISM Interprétariat a souhaité donner la parole à Yevgeniya Glushchenko, traductrice et interprète assermentée en russe et ukrainien. Elle nous parle de son métier, avant et depuis la crise ukrainienne, ainsi que l’évolution de cette langue.

ISM Interprétariat : Bonjour Yevgeniya, pouvez-vous nous parler de vous et présenter votre parcours ? Quelles langues parlez-vous ? Depuis combien de temps travaillez-vous avec ISM Interprétariat ?

YG : Je m’appelle Yevgeniya Glushchenko, je vis en France depuis 2008. Je travaille en tant que traductrice depuis 2005, je suis traductrice et interprète assermentée en russe et ukrainien depuis 7 ans, d’abord auprès de la Cour d’appel de Grenoble et actuellement auprès celle de Lyon. Je travaille avec ISM Interprétariat depuis 2011, aussi bien par téléphone que par écrit. Au début, les traductions et les demandes d’interprétariat en ukrainien étaient très rares, plutôt exceptionnelles car l’Ukraine était considérée par les autorités françaises comme un pays sûr. Je travaillais donc à 90% en russe, voire 95%. La tendance s’est inversée et actuellement, je travaille principalement en ukrainien, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit.

ISM Interprétariat : Depuis le début de la crise ukrainienne en 2022, les besoins en traduction écrite depuis et vers l’ukrainien ont fortement évolué. Quels changements avez-vous vécu ? Pour quels types de traduction êtes-vous davantage sollicitée ?

YG : Les documents d’état civil arrivent toujours en tête des demandes. En revanche, ce qui est nouveau, c’est le nombre important des mineurs ukrainiens arrivés en France sans leurs parents (pour rappel, les hommes ukrainiens âgés de 18 à 60 ans n’ont pas le droit de quitter le territoire, à quelques exceptions près). Cela implique la traduction des délégations de l’autorité parentale formalisées en Ukraine et des jugements des tribunaux français légalisant cette délégation en France. Je traite également un nombre important de traduction de certains diplômes ukrainiens, notamment dans le domaine médical. Plusieurs acteurs sont mobilisés en France pour accueillir au mieux les Ukrainiens dans des domaines différents (logement, santé, accompagnement social…). Ils nous sollicitent également pour traduire leurs documents d’accueil et leurs documents administratifs. En revanche, le cadre légal d’accueil ne prévoit pas de demande d’asile donc les récits de vie pour l’OFPRA ont quasiment disparu de mon cahier de commandes.

Ce volume plus conséquent a marqué mon quotidien de traductrice et d’interprète mais c’est naturellement que je répondais au mieux à ces demandes, je voulais faire le maximum de ce que je pouvais. Ces six derniers mois ont été émotionnellement intenses mais humainement et professionnellement riches.

ISM Interprétariat : Avez-vous adapté votre lexique, depuis les événements de février 2022 ? Peut-on également parler d’évolution de la langue ukrainienne ?

YG : J’essaie d’utiliser les mots et les expressions liés à la crise qui sont employés par les médias, pour qu’ils parlent et soient correctement compris par tous les interlocuteurs. Je veille spécialement à toujours rester neutre même si parfois les tensions sont palpables, de ne pas utiliser de mots ou d’expressions trop connotés. La langue s’est beaucoup militarisée, je découvre les mots « techniques » que j’ignorais avant. Les documents écrits que je traduis le plus souvent sont pour la plupart des documents officiels, ils mettent donc plus de temps pour évoluer et refléter les changements venus du langage journalistique et du langage oral. Mais en général, je peux dire que la langue ukrainienne se développe et se modernise très rapidement, c’était déjà le cas avant la crise et cela s’est accentué depuis les derniers mois. Concernant la difficulté de certaines traductions, j’évite d’employer le mot « réfugiés », car beaucoup d’usagers ne souhaitent pas qu’on les appelle comme cela. J’ai plutôt tendance à utiliser des expressions comme « personnes déplacées » ou bien « bénéficiaires de la protection temporaire ».

ISM Interprétariat : Un dernier mot pour conclure ce témoignage ?

YG : Bonne fête à tous les collègues !

L’association profite de ce témoignage pour remercier l’ensemble des équipes : traducteurs/trices, interprètes, juristes, écrivains publics et spécialistes des langues qui, chaque jour, permettent aux personnes non francophones de comprendre, de s’exprimer, d’accéder à leurs droits et de pouvoir effectuer leurs démarches en toute autonomie.