08 mars 2024

Témoignages – Journée internationale des droits des femmes : protéger et accueillir les femmes exilées afghanes en France

Bannière site internet article journée des droits des femmes 2024 titre-03 - Copie

Chaque année, le 8 mars marque la « Journée internationale des droits des femmes » durant laquelle de nombreuses actions sont menées afin de dénoncer, sensibiliser, informer sur l’importance de la lutte contre toutes les discriminations, les violences et les violations des droits des femmes, où qu’elles se trouvent à travers le monde.

A l’occasion de cette journée et de l’organisation d’une semaine culturelle afghane du 4 au 9 mars 2024, durant laquelle notre association propose à ses salariés et partenaires différents temps de rencontres, de découvertes et d’échanges autour de la culture afghane, ISM Interprétariat souhaite donner la parole à Maëlle, engagée dans la protection et la défense des droits des femmes afghanes, et à Maryam, interprète de notre association, qui intervient auprès de femmes afghanes exilées en France.

Depuis l’arrivée au pouvoir des Talibans en Afghanistan en août 2021, les femmes afghanes subissent de graves violences et restrictions dans leurs droits, parmi lesquels le droit à l’éducation au-delà de l’âge de 12 ans, le droit de travailler, la liberté de circulation, la liberté de manifestation, la liberté de choisir les vêtements qu’elles portent en public, etc.

Face à ces terribles conditions de vie pour les femmes afghanes, poussées à l’exil dans des pays limitrophes ou au-delà, dans des conditions les rendant gravement vulnérables, et au manque de courage politique de l’Union européenne pour les protéger, des dizaines de personnalités de tous horizons ont lancé en avril 2023 un appel aux autorités françaises pour mettre en place un programme d’accueil des femmes afghanes en France, afin de les protéger.

Maëlle, cheffe de projet AMAL (Autonomisation et protection des femmes migrantes) à France terre d’asile, association initiatrice de l’appel témoigne :

Qu’est-ce qui a motivé le lancement de votre appel en avril 2023 pour accueillir les femmes afghanes en France  ?

En avril 2023, le collectif « Accueillir les Afghanes » que co-pilote France terre d’asile, a lancé un appel aux autorités françaises afin que des voies d’accès sécurisées et un système d’accueil en France soient mis en place au bénéfice de femmes afghanes ayant fui l’Afghanistan mais qui restent bloquées dans les pays limitrophes (Iran et Pakistan principalement).

Cet appel a été motivé par plusieurs constats. Tout d’abord, la situation des femmes en Afghanistan n’a cessé de se dégrader depuis la nouvelle prise de pouvoir par les Talibans en 2021. Interdits après interdits, les droits des femmes et des filles afghanes sont constamment restreints, et l’Afghanistan constitue aujourd’hui un des pires pays au monde dans lequel naître et être une femme. Les conséquences de ces privations de libertés sont terribles pour la santé physique et psychique des femmes. Certaines organisations comme Amnesty International considèrent que la situation pourrait être qualifiée de crime contre l’humanité fondé sur le genre.

Le deuxième constat est celui que les femmes afghanes n’arrivent que dans des proportions limitées sur des territoires où elles pourront obtenir une protection, notamment en se voyant délivrer un statut de réfugiée. Lorsqu’elles arrivent à quitter l’Afghanistan, après des parcours risqués et fort coûteux, beaucoup d’entre elles sont contraintes de rester dans les pays limitrophes dans des conditions extrêmement précaires. Ces risques sont exacerbés si elles sont des femmes seules, avec ou sans enfant mais sans membre masculin de leur entourage.

Ainsi, si plusieurs pays européens ont annoncé leur décision de délivrer un asile systématique aux femmes afghanes, encore faut-il que ces femmes puissent arriver dans des conditions sécurisées sur le territoire de ces pays pour déposer leur demande d’asile. C’était le sens de notre appel : nous souhaitons que la France délivre davantage de visas au motif de l’asile, notamment pour des femmes isolées en Iran ou au Pakistan, et organise leur accueil sur le territoire français.

Depuis le lancement de votre appel, quelles sont les avancées obtenues pour l’accueil et la protection des femmes afghanes en France ?

Nous avons eu plusieurs échanges avec les autorités françaises depuis le lancement de notre appel, sans que ceux-ci n’aboutissent toutefois à la mise en place d’un dispositif formel, qui permettrait de venir en aide aux femmes afghanes de manière plus ciblée et spécifique. La France a pris des engagements, notamment dans le cadre du Forum mondial sur les réfugiés organisé à Genève en décembre 2023, pour faire évoluer les pays d’origine des opérations de réinstallation, ce qui pourrait permettre de protéger certaines femmes afghanes qui se trouveraient en Turquie par exemple. Elle a aussi pris un engagement « Avec Elles » centré sur la protection spécifique des femmes dans le monde. Cependant, l’accueil et la protection des femmes afghanes continuent à se faire au compte-goutte, principalement grâce à la mobilisation de professionnel·les (journalistes, artistes, avocats, etc.) et de personnes privées et non dans le cadre d’un accueil organisé visant spécifiquement les femmes les plus vulnérables parmi celles ayant réussi à fuir l’Afghanistan.

Quelles sont vos demandes et vos actions actuellement pour la protection des femmes afghanes ?

France terre d’asile maintient son appel pour que les femmes afghanes les plus vulnérables en Iran ou au Pakistan se voient délivrer des visas pour rejoindre la France et y être protégées au titre de l’asile. La situation des femmes et des filles afghanes n’a connu aucune amélioration ces dernières années, bien au contraire, et la France doit selon nous prendre une part plus active à leur protection effective, dans le cadre notamment de la diplomatie féministe dans laquelle elle s’est engagée.

Pour les femmes afghanes accueillies en France, quelles sont les réalités de leurs conditions de vie ?

Les femmes se sont vues délivrer des visas « asile » afin de venir en France depuis les pays limitrophes, ont été à leur arrivée, soit prises en charge dans des hébergements dits de transit gérés par des associations et financés par l’Etat, soit hébergées par des personnes privées. Ces femmes ont ensuite pu déposer une demande d’asile et celles qui n’avaient pas de solution d’hébergement durable ont pu être orientées vers des centres d’hébergement pour demandeurs d’asile. Suite à leur arrivée en France, ces femmes sont en général confrontées aux mêmes difficultés que toutes les personnes en demande d’asile : les procédures sont longues et complexes, elles ne peuvent pas travailler et l’accès à des cours de français n’est pas financé pendant la demande d’asile. Lorsqu’elles ont obtenu l’asile, commencent ensuite les démarches d’intégration, soit le suivi des cours de français, la recherche d’un logement, d’un emploi, etc. Ces démarches sont là encore complexes, et ces femmes afghanes réfugiées peuvent rencontrer des difficultés pour accéder à leurs droits. Celles qui avaient suivi une éducation supérieure sont en général confrontées à un déclassement professionnel, et toutes doivent traverser l’épreuve de l’exil et du déracinement.

L’accès au territoire français ne représente donc pas que l’aboutissement d’une recherche de protection, mais aussi le début d’un parcours d’intégration.

 


 

Une fois arrivées en France, il est primordial que les femmes afghanes, comme les autres femmes exilées, puissent bénéficier de mesures de protection et d’accompagnement spécifiques et d’un accès effectif à leurs droits. Pour les femmes exilées allophones, cet accès effectif aux droits ne peut être garanti que par la levée de la barrière de la langue.

Maryam est interprète dans les langues dari, farsi et persan, au sein de notre association ISM Interprétariat depuis 2018. Elle témoignage de son parcours, de son métier et du sens de ce dernier lorsqu’elle intervient auprès de femmes afghanes exilées :

En exprimant un récit de vie dans un parcours de demande d’asile, avec des violences qui ont été vécues, aux côtés d’une femme professionnelle du travail social et d’une femme interprète, les femmes exilées afghanes se sentent soutenues et entendues.

 

Pouvez-vous nous parler de vous et présenter votre parcours ? Quelles sont les raisons qui vous ont amenées à exercer le métier d’interprète ?

Avant d’être interprète professionnelle, j’étais bénévole auprès de personnes réfugiées en Île-de-France. J’ai choisi d’exercer ce métier car, comme je connais la langue et la société françaises, c’est important pour moi d’aider les personnes qui rencontrent des difficultés à s’exprimer en français, afin de faciliter leur intégration en France.

Quelles sont les structures pour lesquelles vous êtes le plus souvent appelée à intervenir en tant qu’interprète ?

J’interviens principalement dans des centres de protection maternelle et infantile (PMI) à Paris et en Île-de-France. Dans les centres de PMI, j’interprète pour les mamans et aussi pour leurs enfants. Les consultations concernent le suivi de grossesse et les explications de ses étapes : examens médicaux, accouchement, hospitalisation, etc. Elles concernent aussi le suivi des vaccins pour les enfants, l’organisation des rendez-vous avec des puéricultrices pour échanger sur l’alimentation des enfants par exemple.

 J’interviens aussi dans des services de maternité au sein d’hôpitaux, dans des centres médico-psychologiques, des centres médico-sociaux, dans des écoles, des services de l’Aide Sociale à l’Enfance, et dans des structures d’accompagnement de personnes en demande d’asile, parmi lesquelles de nombreuses femmes exilées afghanes accompagnées depuis août 2021, pour la préparation de l’entretien personnel à l’Office de protection des réfugiés et apatrides et du recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile.

Quel est votre ressenti en tant qu’interprète face aux nombreuses demandes d’asile formulées par des personnes ayant fui l’Afghanistan ?

Pendant les rendez-vous qui concernent la constitution du récit de vie dans la demande d’asile, j’essaie de rester en retrait. Mais, je ne peux pas être indifférente, je me pose des questions sur l’avenir des femmes exilées afghanes. Ces femmes avaient fait des études, elles avaient une vie active, et elles ont tout perdu, elles doivent repartir de zéro, sans parler la langue du pays où elles vivent maintenant.

Vous intervenez régulièrement auprès de femmes exilées afghanes. Quel est votre regard sur les réalités de leurs conditions de vie en France ?

Sans faire de généralités, et en parlant de ma propre expérience d’interprète, la problématique qui revient le plus souvent lors des entretiens avec des femmes exilées afghanes est celle du logement. Les femmes rencontrées sont souvent dans un parcours de demande d’asile, et elles doivent souvent changer plusieurs fois de lieu d’hébergement. Dans ces conditions, les femmes peuvent se sentir découragées, surtout que cela impacte la possibilité d’apprendre la langue française, et donc l’intégration en France.

En plus de la problématique du logement, s’ajoutent la barrière de la langue et l’accès au marché du travail, avec la difficulté de valoriser les diplômes et métiers exercés dans le pays d’origine. Tout cela empêche l’autonomisation des femmes, la compréhension et l’exercice de leurs droits.

Selon vous, qu’est-ce que l’intervention d’une interprète professionnelle apporte aux femmes exilées afghanes ?

Avec la présence d’une femme interprète professionnelle, souvent souhaitée par les femmes exilées, ces dernières peuvent s’exprimer et trouver un cadre de confiance lors des rendez-vous avec des professionnels du travail social, des professionnels de santé, ou dans le cadre d’une demande d’asile.

En exprimant un récit de vie dans un parcours de demande d’asile, avec des violences qui ont été vécues, aux côtés d’une femme professionnelle du travail social et d’une femme interprète, les femmes exilées se sentent soutenues et entendues.

Dans le domaine médical, les femmes ont souvent eu très peu d’accès aux soins dans leur pays d’origine. Elles n’ont jamais vu de gynécologue ou eu un suivi de grossesse. La présence des interprètes permet d’apporter un cadre de confiance, pour leur prise en charge et celle de leurs enfants, et d’expliquer les termes médicaux, les maladies, les symptômes, qui sont souvent méconnus.

Dans certaines structures, ce sont des membres de la famille, des amis qui servent d’interprètes, et le recours à l’interprétariat professionnel n’est envisagé que pour des situations très compliquées. Pourtant, la présence des interprètes permet de faciliter l’accompagnement des femmes, les travailleurs sociaux nous disent souvent merci, que notre présence permet de bien comprendre les choses, de bien expliquer, de poser des questions. Les femmes accompagnées se sentent utiles, actives, elles peuvent s’occuper de démarches. Souvent, quand j’interviens, les femmes disent une expression connue en dari qui signifie « je me sens légère », pour dire qu’elles ont pu s’exprimer, se sentir écoutées.